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LezGirlz

30 avril 2012

Chapitre 5, Séjour prolongé et plus si affinités - Part 1/7

Jordan était ici depuis maintenant deux semaines, moi depuis à peine quelques jours de plus que lui. Si tout s’était passé comme c’était censé l’être lorsque je suis arrivée, j’aurais été aujourd’hui à quelques jours de plier bagages et rentrer chez moi. Seulement, cela n’a pas été le cas.

J’ai commencé les entretiens avec la psychiatre le lendemain de mon tout premier week-end à l’hôpital. Elle me faisait parler d’à peu près tout ce qui me touchait – ma vie actuelle, mon enfance, mes liens avec mes parents, etc. Chaque réponse que je lui donnais était source de nouvelles questions, ce qui fait que j’avais plus l’impression d’un interrogatoire qu’autre chose. Je me sentais parfois prise au piège lorsqu’elle me demandait de justifier certains actes ou certaines paroles, mais je ne me laissais pas démonter pour autant. J’étais bien décidée à coopérer afin de sortir d’ici au plus vite, mais les choses se sont avérées plus compliquées que prévu.

Les entretiens soulevèrent les premiers problèmes lorsque Mme Sanchez me demanda de parler de la séparation de mes parents et ce qui s’ensuivit. Je n’aurais jamais pensé réagir comme cela, mais les larmes me montèrent aux yeux sans que je ne puisse rien y faire. Évoquer les faits ne posait pas de difficulté, exprimer ce que je ressentais était tout autre chose. Cela faisait alors plus d’une semaine que les entretiens avaient commencé, et je sus que les trois semaines initialement prévues ne seraient pas suffisantes pour que je sorte.

Heureusement pour moi, l’amitié que j’avais développée avec Jordan et Marina me permettait de passer des journées plus agréables qu’ennuyeuses. Le soutien de cette dernière me fut primordial quelques soirs où les sujets abordés dans mes entretiens avec Mme Sanchez revenaient me soulever le cœur et l’esprit, et je ne comptais plus les soirs où je sanglotais dans ses bras. Nous pouvions désormais évoquer entre nous des sujets plus personnels sans que la gêne n’apparaisse ; même si Marina esquiva toujours mes tentatives de questionnement sur la source de sa souffrance avec une habilité qui trahissait l’habitude de ce comportement. Nous parlions souvent à cœur ouvert lorsque Jordan n’était pas là, signe d’une complicité grandissante.

Nous n’étions plus que sept dans le service, infirmiers exclus. Julie était partie il y a maintenant trois jours, le 28 octobre. Son départ avait fait selon moi d’une pierre deux coups : nous avions gagné en vie privée, et Élie venait de perdre la présidente de son fan club. Elle semblait s’en rendre compte, car nous l’entendions moins vanter des évènements improbables auxquels elle aurait soi-disant participé.

Johanna se joignait un peu moins à notre groupe depuis l’arrivée de Jordan : il étendait son antipathie pour Élie aux autres filles qui parlaient avec elle, et était de ce fait parfois peu agréable. Il accordait cependant plus de sympathie à Johanna qu’aux autres, car même si elle était incontestablement amie avec Élie, elle ne se vouait pas corps et âme à être en permanence dans ses bonne grâces, comme le faisaient par contre Élize et Julie. Jordan préférait dans ces moments là aller se « dégourdir les jambes », comme il le disait lui-même.

Si la séparation restait encore floue lorsque j’étais arrivée dans le service, il ne faisait aucun doute aujourd’hui que nous étions séparés en deux groupes distincts : le groupe d’Élie, et le groupe anti-Élie. Chaque groupe menait contre l’autre une bataille d’indifférence la plus totale, et je crois bien qu’il valait mieux qu’il en soit ainsi pour ne pas attiser plus encore les tensions qui régnaient à mon arrivée.

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20 février 2012

Chapitre 4, Un garçon dans la bergerie - Part 3/3

Il était 16h30, j’étais installée dans la salle télévision avec les quelques carrés de chocolat volés sur la table de la cuisine au goûter. Jordan était assis sur une chaise légèrement en recul de la mienne, les pieds étalés sur le dossier de la chaise devant lui. Faute de programme intéressant à cette heure ci, nous regardions un jeu télévisé débile avec des candidats qui ressemblaient plus à des acteurs qu’autre chose.

Julie était revenue aux environs de midi, à temps pour le repas, et était restée enfermée tout l’après-midi dans la chambre qu’Élie partageait avec Marina. Elles furent rejointes peu après le goûter par Élize qui rentrait de son week-end chez sa famille d’accueil.

Je me surpris à guetter du coin de l’œil toutes les deux minutes l’entrée du couloir ; je bénéficiais d’une vue imprenable et voyais quiconque y passait. Du moins, je le pensais. Aux environs de 17h, je vis entrer avec surprise Marina de la salle, en provenance des chambres et non de l’entrée du service. Jordan la salua d’un signe de tête qu’elle lui rendit, puis il se rapprocha de moi pour me faire la bise. Sa joue était tiède, signe qu’elle était rentrée il y a suffisamment de temps pour avoir le temps de faire disparaître l’air frais de l’extérieur.

-          Tu es rentrée quand ? Je ne t’ai pas vue passer, remarquai-je.

-          Il y a un peu plus d’un quart d’heure, juste après Johanna. On est arrivées presque en même temps.

Ce qui expliquait que je ne l’ai pas remarquée. Lorsqu’elle était rentrée, Johanna avait fait de nombreux va et vient entre le bureau des infirmiers et sa chambre, je m’étais finalement désintéressée momentanément des passages, lassée de la voir défiler dans le couloir.

À la télévision, la candidate sélectionnée avait gagné la somme maximale – 50 000€. Je sentais le parfum doux de Marina, qui restait appuyée contre le dossier de mon fauteuil. Jordan ne bougeait pas d’un cil, aussi absorbé par le jeu télévisé qu’il l’avait été depuis que nous étions devant la télévision. Ne sachant pas s’il s’y intéressait vraiment ou s’il était dans l’état semi-comateux de l’adolescent souffrant d’un ennui profond, je proposai à Marina de venir dans ma chambre pour me raconter son week-end.

Je m’installai tranquillement les jambes en tailleur sur mon lit, tandis que Marina s’allongeait paresseusement en travers du lit, les jambes pendant dans le vide. Malgré la fraicheur récente qui annonçait un hiver proche, elle portait aujourd’hui un large short noir qui lui arrivait jusqu’aux genoux, et auquel étaient accrochées de fines chaînes qui s’entrecroisaient. Les mains croisées sur son vieux t-shirt délavée à l’effigie d’un groupe que je ne connaissais pas, elle tourna la tête pour me regarder et poussa un soupir.

-          Alors ? demanda-t-elle.

-          Alors quoi ? répliquai-je.

-          Comment s’est passé ton week-end ? dit-il en retrouvant son sourire naturel.

-          Je crois que je ne me suis jamais autant ennuyée. Hier, on est allées au parc. Et c’est tout.

Mon malheur du week-end la fit rire.

-          Le tien était mieux ? demandai-je.

Elle attendit quelques secondes avant de me répondre, le sourire pendu aux lèvres.

-          C’était l’anniversaire de mon frère. Il faisait 22 ans. On est allés manger au restaurant, puis on est partis voir un concert avec des amis.

J’eus droit à tous les détails du concert, ainsi qu’à un résumé détaillé de son week-end. Elle semblait avoir profité de sa liberté retrouvée, et la voir rire comme ça me faisait presque oublier que mon week-end avait été ennuyeux à en mourir.

-          Ce n’était pas trop dur de quitter tes parents et ton frère, ce soir ? demandai-je.

Son visage s’assombrit légèrement à l’écoute de ma question, avant de retrouver son air habituel.

-          Je n’ai vu que mon frère. Mon père est mort lorsque j’avais 6 ans, d’un arrêt cardiaque. Ma mère est avocate et défend souvent des gros clients à l’étranger, je ne la vois que rarement.

Il s’agissait probablement de mon week-end « révélations ». Tous les adolescents d’ici, hormis Élie et Julie dont je ne savais rien, semblaient avoir des problèmes familiaux.

Face à mon silence gêné, Marina passa à des sujets plus joyeux qui nous détendirent toutes les deux. La soirée se passa comme toutes les autres, dans des discussions diverses et variées qui furent entrecoupées par le repas. Jordan nous rejoint après celui-ci, et ce fut à trois que la conversation continua.

20 février 2012

Chapitre 4, Un garçon dans la bergerie - Part 2/3

Je me réveillai en sursaut après un cauchemar. Je voyais la lumière du jour filtrer à travers les volets de la fenêtre, ce que je trouvai étrange puisque les infirmiers nous réveillaient toujours avant que le soleil ne soit réellement levé depuis que les journées raccourcissaient. M’étais-je rendormie après qu’ils soient venus ? Je n’en avais aucun souvenir. Dans le doute, je me levai et m’habillai rapidement avant de sortir de ma chambre.

Lorsque j’atteignis la salle commune, je constatai avec étonnement qu’il n’y avait aucun des adolescents assis ici en train de vaquer à leurs occupations. L’horloge suspendue haut sur le mur affichait pourtant 9h30 passées. Après un haussement d’épaules, je me dirigeai vers la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner.

Seule Élize était attablée devant un bol de céréales. Sandrine, l’infirmière de service, m’intercepta avant que je ne rejoigne la table.

-          Déjà levée ? demanda-t-elle.

-          Ben… Oui. Où sont les autres ? l’interrogeai-je.

-          Je n’ai pas vu tout le monde, certains doivent encore dormir. On ne vous réveille qu’à 10h le week-end.

Le week-end ! La semaine avait filé tellement rapidement que je ne l’avais pas vu arriver. Cela expliquait ce vide soudain dans la salle commune, déjà remplie en temps normal lorsque j’arrivais. Les autres n’étaient-ils pas censés avoir de permission ? Je m’assis en face d’Élize pour engager la conversation.

-          Bien dormi ? commençai-je.

-          Oui et toi ? répondit-elle.

-          Je dormirais encore si un cauchemar ne m’avait pas réveillée, mais ma nuit s’est bien passée. Tu es toujours aussi matinale les week-ends ?

-          Oui, on se lève tôt dans ma famille d’accueil. Et puis de toute façon, ils viennent me chercher à 10h15 donc il fallait le temps que je me prépare !

-          Tu rentres quand de ta permission ?

-          Dimanche soir.

-          Tu sais qui part en permission aussi, ce week-end ?

-          Sandrine m’a dit que Marina était partie en permission pour le week-end à 9h. Ensuite, je sais que Johanna part dans sa famille d’accueil à 10h, et que Julie part chez elle et revient demain matin, mais je ne sais pas quand. Voilà.

J’eus un léger pincement en sachant que Marina était déjà partie, j’aurais aimé lui souhaiter un bon week-end. Tout le monde partait, à l’exception d’Élie, Jordan et moi. Le week-end s’annonçait fascinant entre Élie qui ne m’aimait pas et que je n’avais pas envie de voir, et Jordan qui ne sortait de son mutisme qu’en de rares occasions, à ce qu’il m’avait semblé voir.

-          Bon, je vais finir de me préparer. Bon week-end, si je ne te revois pas ! dit Élize.

Elle interrompit le cours de mes pensées et se leva pour laver son bol. Elle repartit en direction de sa chambre et je me retrouvai seule devant mon propre bol. Je finis mon petit-déjeuner seule, puis ne sachant quoi faire, je retournai dans ma chambre pour ranger mes quelques affaires et faire mon lit.

Je sus qu’il était 10h lorsque j’entendis Johanna passer dans le couloir en trainant une valise – identification que je déduisis des informations d’Élize. Je poussai un soupir puis sortis à mon tour, ma chambre était dénuée d’intérêt étant donné le peu d’affaires personnelles que m’avait apporté ma génitrice. Je me dirigeai à pas lourds dans la salle commune avec l’intention de m’abrutir devant l’une des rares bandes-dessinées présentes dans la petite bibliothèque de l’hôpital.

Au fur et à mesure que je lisais, assise sur le canapé, je vis défiler toutes les filles qui partaient en week-end. Je leur souhaitais à chacune de passer un bon week-end, puis replongeais immédiatement dans ma lecture.

 

Il était 14h et nous venions tout juste de sortir de table – le repas fût prêt à 12h45 et la conversation était animée malgré le peu de personnes présentes, notamment grâce au deuxième infirmier, Rafaël, qui était un vrai moulin à paroles.

Le soleil brillait dehors et la chaleur semblait au rendez-vous en cette mi-octobre. Nous n’étions que trois adolescents dans le service aujourd’hui, c’est pourquoi Rafaël nous proposa de faire une sortie au parc pour nous aérer. Sandrine devrait rester dans le bâtiment par nécessité d’avoir un service minimum en cas de problème, et du fait de notre petit nombre Rafaël était autorisé à nous faire sortir au parc sans autre accompagnateur.

Rafaël était un homme jeune et plein d’entrain du haut de ses 28 ans, un sportif qui aimait passer son temps libre à gravir les montagnes sur son vélo. Il respirait la joie de vivre et semblait savoir la communiquer à son entourage ; il n’était jamais à court de paroles et savait adapter son discours à la personne en face de lui. Bref, il était fait pour son métier d’infirmier en charge d’adolescents.

Tout comme Jordan, qui n’était pas du coin, je découvris pour la première fois le parc de Longages. C’était un endroit paisible et aimé par les familles avec jeunes enfants, et à juste titre. Je compris l’utilité du sac remplis de nos restes de pains qu’avait emporté Rafaël lorsque je vis le lac où nageaient un peu partout des groupes de canards.

Le pain distribué tant bien que mal, Rafaël nous fit repartir sur le chemin. Il discutait avec entrain avec Élie, qui se façonnait une nouvelle fois une vie qui n’était probablement pas la sienne, à la différence qu’elle omît avec Rafaël les détails sordides. Je préférai rester un peu en retrait pour ne pas gâcher ma sortie, et remarquai que Jordan fît de même.

-          Elle dit n’importe quoi, non ? me demanda-t-il.

-          Je pense. Elle n’a pas sortit la même version à Julie et Johanna la dernière fois, déjà.

-          Elle n’est pas crédible, approuva-t-il. De toute façon, les infirmiers ont un dossier sur chacun de nous… À quoi est-ce que ça lui sert de mentir ?

-          Se faire remarquer ? J’ai préféré laisser tomber, avec elle. Elle ne vaut pas vraiment la peine de se prendre la tête à démêler le vrai du faux.

-          C’est une bonne façon de résonner.

La discussion en resta là en ce qui concerne Élie. Nous avancions maintenant en silence derrière cette dernière et Rafaël, qui ne cessaient de bavarder. À ma gauche, je pouvais deviner un terrain de mini-golf en partie caché par les arbres, mais repérable grâce à ses couleurs vives. Nous prolongions le lac et ses groupes de canard, nous rapprochant de ce qui semblait être des terrains de jeu, à environ une centaine de mètres de nous. Il fallait pour cela contourner le lac, ce qui faisait un petit peu de marche. Devant nous s’étendait maintenant un décor reproduisant le monde d’Alice au pays des merveilles, avec des cartes de taille géante munies de tête, pieds et mains. Juste après, les cartes laissaient place au carrosse en forme de citrouille de Cendrillon, dans lequel on pouvait apparemment se faufiler à conditions de faire moins d’un mètre cinquante. Une fillette de trois ou quatre ans était assise sur le petit siège à l’intérieur de la citrouille tandis qu’un petit garçon d’à peine un ou deux ans de plus avait pris place sur la selle de l’un des faux chevaux qui tiraient le carrosse. Les parents s’efforçaient de prendre la scène en photo, mais la tâche était compliquée avec le petit garçon qui n’arrêtait pas de bouger.

-          Il y avait un parc comme ça près de chez moi, dit soudain Jordan. J’y allais quand j’étais petit avec mon frère. C’était un labyrinthe, au centre il y avait la table ronde des chevaliers. On s’asseyait là et on y restait des heures.

-          Ça devait être sympa. Tu es l’aîné ou c’est ton frère ? demandai-je.

-          C’était mon frère, on avait quatre ans de différence.

-          Pourquoi est-ce que tu en parles au passé ?

J’essayai de scruter son visage, mais sans succès. Non pas que je ne le voyais pas, malgré que Jordan portait encore sa capuche, mais il semblait avoir le visage figé dans un masque sans émotion éternel.

-          Il s’est fait renverser par un chauffard quand j’avais neuf ans. Il est resté dans le coma pendant deux semaines, mais les médecins n’ont rien pu faire.

-          Je suis désolée…

-          Tu n’y peux rien. Personne n’y peut rien.

Il m’était impossible de déceler quoi que ce soit dans le ton de sa voix ou les expressions de son visage. Il disait tout cela comme si ça ne l’atteignait pas.

En parlant avec Jordan, je me rendis compte que nous avions tous deux ralentis le pas et que les deux autres commençaient à nous devancer.

-          On ferait mieux d’avancer pour les rattraper, dit Jordan comme s’il avait lu dans mes pensées.

Ils s’arrêtèrent peu après pour regarder un panneau d’affichage à l’entrée de la zone de jeux, ce qui nous arrangea. Jordan s’arrêta deux mètres en retrait et je fis de même. Les mains dans les poches, nous restions tous deux prostrés dans le silence tandis que Rafaël et Élie lisaient le panneau. Ils se remirent en marche en direction d’une pancarte indiquant « Animaux » en lettres noires épaisses.

-          Comment s’appelait ton frère ? demandai-je pour rompre le silence.

-          Yannis.

-          Comment est-ce que c’est arrivé ? Tu peux m’envoyer bouler si tu veux, je comprendrais.

-          Il rentrait du collège, il a traversé la route sur le passage piéton. Un gars a grillé le feu rouge en voiture et l’a renversé, il dit qu’il ne l’avait pas vu traverser. Tu parles… Il s’était fait retirer son permis il y a trois semaines et était complètement plein.

-          Qu’est-ce qu’il s’est ramassé ?

-          Il a pris des années de prison ferme, je ne sais plus combien. Mes parents n’ont pas voulu que j’assiste au procès.

-          Des années de prison ce n’est rien, comparé à la vie d’un gamin…

-          C’est lui qui aurait dû mourir, pas Yannis.

Je préférai ne rien dire de plus, je ne pensais pas pouvoir être en mesure de comprendre réellement ce qu’il ressentait. Aucun de mes problèmes n’était si grave que ça, et je ne pouvais pas me projeter la mort d’un frère ou d’une sœur que je n’avais pas.

Ni l’un ni l’autre ne reprit la parole jusqu’à la fin de la balade, chacun de nous deux perdu dans ses propres pensées. L’histoire de Jordan me fit penser à Marina, et plus exactement à ce qui avait pu la pousser à faire des tentatives de suicide et des séjours en hôpital à répétition. Était-ce un problème du même type ? Avait-elle perdu quelqu’un d’important ? Je m’interrogeai encore plus que je ne l’avais fait auparavant. Que peut-il arriver d’autre pour que l’on décide de mettre fin à ses jours, sinon la douleur causée par la perte d’un être cher ?

C’est la tête embrouillée de questions que je rentrai dans le service ; autant de questions qui resteraient pour le moment sans réponses. Je n’avais pas dit un mot depuis ma conversation avec Jordan, et cela me convenait très bien.

20 février 2012

Chapitre 4, Un garçon dans la bergerie - Part 1/3

Cela faisait maintenant deux jours que j’avais décidé d’éviter Élie aussi longtemps que possible. Je passais désormais mon temps avec Marina, à discuter de tout et de rien. Parfois Johanna et Élize nous rejoignaient, mais Élize repartait rapidement auprès de sa chef de meute. Quant à Johanna, elle tenait à affirmer qu’elle avait le droit de rester avec qui elle voulait, et Élie ne semblait jamais le lui reprocher. Ce matin était une de ces matinées où elle préférait rester avec Marina et moi.

Je m’étais levée de bonne humeur, ce qui venait sûrement du fait que je m’étais réveillée par moi-même quelques minutes avant le passage des infirmiers. Qui l’aurait cru il y a de cela même pas une semaine ? Certainement pas moi en tout cas. Lorsque les infirmiers me demandèrent d’aller dans le bureau de la psychiatre, j’y allais donc sans rechigner.

La porte du bureau était déjà ouverte, prête à m’accueillir. La psychiatre me tendit la main avec un sourire, je la lui serrai puis m’assis. Si je ne savais pas en quoi pourrait bien consister notre entretien, je ne me doutais absolument pas de ce qu’elle allait me dire.

-          Bonjour Mélina. Comment allez-vous ?

-          Ça va, répondis-je avec un léger sourire.

-          Je comptais commencer les séances avec vous à partir de la semaine prochaine, mais il y a un petit évènement aujourd’hui. Un nouvel adolescent va rentrer dans le service cet après-midi, vous allez donc changer de chambre. Nous aurions pu le placer dans la chambre à côté de la votre, mais nous préférons réserver la chambre n’ayant pas de serrure dans la porte de la salle de bains aux nouveaux arrivants. Cela ne vous pose pas de problème ?

-          Ah, j’ai le choix ?

Ayant remarqué mon ton sans animosité par rapport à d’habitude, elle ne retint pas son rire après avoir entendu ma question.

-          Pas vraiment, non, dit-elle finalement.

-          Ça ne me dérange pas de toute façon.

-          Tant mieux dans ce cas, certains sont réticents à changer leurs affaires de chambre. Comment se sont passés les derniers jours ?

-          Bien, je m’intègre mieux dans le service.

-          C’est ce que les infirmiers ont remarqué, je suis ravie que ce ne soit pas du cinéma. Vous avez des affinités avec des ados en particulier ?

-          Quelques unes avec Marina et Johanna, oui. Les autres ne s’intéressent pas particulièrement à moi.

-          Cela vous gêne ?

-          Pas vraiment, je n’y fais pas attention.

-          C’est la bonne réaction à avoir. Y a-t-il quelque chose dont vous voudriez me parler ?

-          Pas spécialement.

-          Bien. Je ne vous retiens pas plus longtemps dans ce cas, nous commencerons le travail sur vous-même à partir de la semaine prochaine, une fois que le week-end sera passé.

Elle se leva et me raccompagna jusqu’à l’entrée du service. Les autres semblaient avoir été mis au courant de l’arrivée d’un nouveau venu car Julie m’attendait de pied ferme devant la porte, prête à me hurler la nouvelle.

-          Tu vas être juste à côté de ma chambre ! dit-elle en s’agrippant à moi.

-          C’est bon, lâche-moi, dis-je en me dégageant le bras.

-          Je parle aussi dans mon sommeil d’après ce qu’on m’a dit. Tu me diras si tu m’entends !

Super… Sur cette nouvelle, elle repartit en riant vers la salle commune. Dan, de service ce matin-là, sortit avec le trousseau de clés de nos chambres.

-          Viens, on va déménager tes affaires, dit-il.

Je le suivis jusqu’à la porte de ma future ancienne chambre. Je n’avais que très peu d’affaires – seulement des vêtements, en réalité – et ma chambre fut donc rapide à déménager. Celle que Dan m’ouvrit afin que je dépose mes affaires était jaune pâle et avait la même disposition que la précédente, à la différence que tout était dans le sens opposé. Je déposai mon sac sur le lit et sortit à la demande de Dan, qui me dit que j’aurais tout mon après-midi pour faire du rangement.

De retour avec les autres, je constatai que la nouvelle d’un arrivant avait opéré quelques changements de comportement : Élie et l’intégralité de sa troupe émettaient des hypothèses sur le physique du nouvel arrivant, et d’autres choses trop futiles à mon goût. Marina, comme bien souvent, lisait son livre assise sur le canapé. Elle ne semblait pas plus intéressée que moi par la discussion que tenait le quatuor de filles, à seulement quelques mètres d’elle. Elle posa son livre lorsque je m’assis à côté d’elle.

-          Tout s’est bien passé, avec la psychiatre ? demanda-t-elle.

-          Oui. Elle voulait seulement me prévenir que j’allais changer de chambre, savoir si ça ne me dérangeait pas et avoir un petit aperçu de mes relations avec tout le monde.

-          Profites-en tant qu’elle ne se lance pas dans des conversations à prise de tête ! dit-elle tout sourire.

-          Elle m’a dit qu’elle s’y attaquerait après le week-end. Ça ne me laisse pas trop de répit, lui répondis-je avec le même sourire.

-          C’est juste le coup de s’y mettre, on s’y habitue. Ses questions restent « normales ». En revanche quand tu verras le psychologue…

-          On est suivies par deux personnes ?

-          Normalement oui. Tout le monde est suivi par Mme Sanchez tous les deux ou trois jours, puis ensuite nous voyons l’un des deux psychologues une fois par semaine, pour un autre type de suivi.

-          Quelle est la différence entre les deux suivis ?

-          La psychiatre est principalement là pour gérer la médicamentation et les problèmes plus profonds. Le psychologue te parle un peu plus de la vie de tous les jours, ou des sujets un peu tordus si tu es suivie par Jean-François. C’est lui qui suit la majorité des ados qui sont ici, mais le deuxième psychologue suit tous les ados qui viennent de familles d’accueils. Donc tu as des chances d’être suivie par Jef, puisque ce n’est pas ton cas.

-          Personne n’a vu de psychologue cette semaine, si ? demandai-je.

-          Non, Jef avait des impératifs familiaux et le deuxième psychologue était en formation, il me semble.

-          C’est le bordel l’organisation, ici…

-          Un petit peu ! rit-elle.

La conversation dériva vers des sujets plus légers pendant encore un long moment, passant parfois du coq à l’âne. Moi qui n’étais pas d’un naturel très bavard depuis plusieurs mois, j’avais l’impression d’avoir trouvé quelqu’un avec qui j’aurais pu parler une nuit entière sans me lasser.

 

Il était 15h lorsque le nouveau arriva. Sandrine, une infirmière dont j’avais fait la connaissance au début de son service de l’après-midi, était sortie du service il y a maintenant un quart d’heure, et elle revint avec un garçon de notre âge derrière elle. Il portait sur son épaule un sac de sport noir qui semblait bien rempli. Les mains dans les poches d’un grand sweat-shirt noir au nom d’un célèbre groupe de metal, il affichait une mine renfrognée et avait le regard baissé vers le sol. Sandrine l’amenait directement dans sa chambre ; soit la visite serait pour plus tard, soit il l’avait déjà effectuée avant que je n’arrive. Marina répondit sans le savoir à mon interrogation :

-          Il était venu visiter le service il y a une semaine ou deux, dit-elle. Les filles vont être déçues, il est à leur goût mais il semblait peu communicatif.

-          Peut-être parce qu’il doit venir ici justement, répondis-je.

-          Je pense aussi. Mais ça s’arrangera avec le temps, comme tout le monde. À moins qu’il ne soit comme ça par nature.

J’acquiesçai ses dernières paroles d’un signe de tête. Une idée en amenant une autre, je me demandai pour la première fois depuis quand Marina était hospitalisée ici. C’était une question que je ne m’étais jamais posée auparavant, que ce soit pour elle ou pour n’importe laquelle des autres filles. Je décidai de me lancer, ce n’est pas comme si elle allait me manger.

-          Je peux te poser une question ?

-          Une deuxième, tu veux dire ? dit-elle, moqueuse.

-          Oui, lui répondis-je avec un sourire en coin. Tu es ici depuis combien de temps, si ce n’est pas indiscret ?

-          Pour cette hospitalisation là, cela fait environ quatre semaines. Mais c’est la troisième fois que je suis hospitalisée.

-          Oh…

-          La première fois, il me semble que c’était il y a deux ans. J’y suis restée quatre mois pour dépression. La fois suivante, c’est parce que j’ai replongé ; il y a eu un peu moins de deux mois d’écart.

-          Tu as une vie joyeuse à ce qu’on dirait…

-          C’est vrai. Je suis une habituée de la maison, comme tu as dû le comprendre.

Je ne savais plus quoi dire après ces révélations. À quoi donc pouvait ressembler sa vie pour qu’elle ait souffert autant ? Et qu’elle souffre encore autant aujourd’hui ? Je commençais à apprécier énormément cette fille, et cela me serrait le cœur d’apprendre tout ceci.

Heureusement pour moi, le garçon arriva dans la salle commune derrière l’infirmière, et je n’eus pas à fournir de réponse dans l’immédiat. Tant mieux, parce qu’il semblait que j’avais perdu mes mots. Il vint s’asseoir lourdement à ma gauche, la capuche sur la tête et les écouteurs sur les oreilles.

Je vis arriver peu après le quatuor de filles, qui vinrent nous entourer pour faire connaissance. Marina sembla se rembrunir un peu à la vue d’Élie, et je lui demandai donc si elle pouvait m’apprendre quelques trucs sur sa guitare, afin de la détourner de la présence hostile d’Élie. Elle eût l’air de comprendre le but de la manœuvre et ne se fit pas prier pour aller demander sa guitare aux infirmiers. Une fois celle-ci obtenue, Sandrine nous ouvrit la porte de la salle de détente.

Marina me tendit la guitare, que je saisis avant de m’asseoir sur l’unique petit tabouret. Elle s’installa sur le sol en face de moi. Elle me regarda un instant dans les yeux.

-          Tu veux apprendre quoi ? me demanda-t-elle.

-          C’est une bonne question. Il faut commencer par quoi normalement ?

-          Par s’habituer au manche ! dit-elle en riant. Ce n’est pas la partie la plus palpitante par contre.

-          Il n’y a pas de morceau simple que je pourrais jouer ?

-          J’en connais, mais uniquement dans le style metal. Ça dépend si tu veux en jouer ou non.

-          Peu importe, c’est juste pour me frotter un peu à la musique !

Elle me montra à quoi ressemblait ce qu’elle comptait me faire jouer. Ça avait l’air simple à la regarder jouer, mais je ne réussi qu’à sortir des sons discordieux de l’amplificateur. Je tentai pendant encore cinq minutes, mais j’avais si mal aux doigts que j’abandonnai. Cela fit beaucoup rire Marina, qui m’avoua qu’il fallait persévérer pour que la douleur finisse par disparaître. Je préférai la laisser jouer et l’écouter plutôt que de m’y relancer.

 

Marina jouait encore lorsque le garçon nous fit la surprise d’entrer dans la pièce, presque sans bruit. Nous ne l’aurions probablement pas remarqué si Marina n’avait pas dû effectuer un réglage sur l’amplificateur quelques secondes avant son entrée dans la pièce.

-          Je peux rester ici ? demanda-t-il d’une voix grave.

-          Bien sûr, lui répondit Marina.

-          Faîtes comme si je n’étais pas là.

S’exécutant, Marina commença un autre morceau tandis que le nouveau s’installai sur assis contre le mur d’en face. Elle interpréta une chanson qu’elle n’avait encore jamais jouée en ma présence, et je fus bluffée de la vitesse à laquelle ses doigts glissaient sur le manche ; surtout maintenant que j’en avais constaté la difficulté par moi-même. Elle semblait avoir de l’or dans les doigts, un don pour les disciplines artistiques. La chanson se termina sur un doux tremolo qu’elle fit durer jusqu’à la fin.

-          Ça ressemble à du Gojira.

La brusque intervention qui provenait de mon dos me fit sursauter, comme si j’avais déjà oublié sa présence.

-          Oui, c’est une de leurs chansons, répondit Marina. J’ai adapté la fin pour qu’elle sonne mieux sans la panoplie des autres instruments.

-          Ça rend bien.

-          Merci. Tu joues, toi aussi, ou tu te contentes d’écouter ? demanda Marina.

-          Je jouais un peu avant, mais j’ai abandonné. Comment vous vous appelez ?

-          Marina.

-          Mélina, répondis-je à mon tour.

Je m’attendais à ce qu’il se présente lui aussi, mais à mon grand étonnement rien ne venait. Je jetai un œil interrogateur à Marina, qui haussa les épaules en guise de réponse. Ce n’est qu’un instant plus tard, alors que venait de résonner le bruit du four en provenance de la cuisine, qu’il retrouva la parole.

-          Moi c’est Jordan.

Il se levait et j’en fis autant, de même que Marina. J’appréciais de ne pas voir le temps passer ici lorsque je restais avec  Marina. Il était 15h lorsque Jordan était arrivé, cela faisait donc au moins trois heures trente que nous étions enfermées ici toutes les deux. Je pense que le temps aurait été long sans sa présence.

Les filles attendaient toutes de prendre leur traitement dans le bureau des infirmiers, quant à moi je m’installai à ma place habituelle sur la grande table. Une assiette s’était rajoutée à ma droite, à laquelle vint s’installer Jordan. Les infirmiers ne semblant pas avoir préparé les traitements en avance ce soir là, je restai un moment attablée en silence avec mon nouveau voisin de chambre. Il rompit soudain le silence :

-          Tu es ici depuis longtemps ? me demanda-t-il.

-          Non, seulement depuis lundi. C’est la première fois que je suis hospitalisée.

-          Moi c’est pareil, répondit-il. Je suis venu visiter il y a deux semaines, comme je ne t’avais pas vu je me demandais si tu étais absente au moment où je suis venu ou si tu n’étais pas hospitalisée.

-          T’es venu de toi-même aujourd’hui, ou on t’a forcé la main ? demandai-je.

-          Mes parents m’y ont obligé. Enfin, c’est plutôt la psychiatre qui leur a forcé la main, comme tu dis. Je ne voulais pas venir. Je n’aime pas cet endroit.

-          Comme tout le monde, rigolai-je.

-          Hm.

La conversation s’arrêta là et tout le monde arriva pour le repas.

Le repas achevé, tout le monde partit faire son train-train habituel. Je restai avec Marina jusqu’au couvre-feu dans ma chambre, à parler de tout et de rien comme nous le faisions si bien depuis quelques temps. Le quatuor de filles était installé sur les fauteuils de la salle télévision jusqu’à ce que les infirmiers les renvoient dans leurs chambres respectives. Jordan était partit directement dans sa chambre après le repas, je ne pense pas l’avoir entendu en sortir avant que nous allions tous nous préparer pour la nuit.

4 février 2012

Vues d'une chambre type de l'hôpital

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14 janvier 2012

Chapitre 3, Quel clan choisir ? - Part 4/4

Je découvris la chambre double que Marina et Élie partageaient ensemble. Le contraste entre les deux « zones » de la chambre était frappant : celle de Marina, dans laquelle elle était assise sur son lit en tailleur, était soigneusement rangée ; alors que des vêtements froissés et des chaussures non rangées jonchaient le sol et le lit d’Élie. Je vins m’asseoir à côté de Marina et remarquai un dessin posé sur le lit, presque derrière elle. Elle tenait un bloc de feuille posé en équilibre sur sa jambe droite ainsi qu’un crayon. Elle m’interrompit dans mes observations :

-          Tu n’étais pas avec les filles ? me demanda-t-elle, semblant surprise de ma présence ici.

-          Si, je viens de partir. Élie commençait à partir dans des délires de secte ou je ne sais pas trop quoi.

-          Tu leur as faussé compagnie ? dit-elle avec un regard espiègle.

-          Oui, j’ai prétexté une envie de me dégourdir les jambes, lui dis-je en riant.

-          Elle risque de te mettre ça sur le dos, me prévint-elle avec un grand sourire.

-          Ce n’est pas bien grave ! répondis-je en lui rendant son sourire.

Je sentais qu’un bon courant passait entre nous, contrairement à Élie que j’appréciais peu. Je n’étais pas ici depuis très longtemps, mais je sentais déjà qu’il n’y avait qu’avec Marina et Johanna que je pourrais établir des liens. Julie était trop immature à mon goût, et Élize trop collée à Élie pour faire réellement sa connaissance.

-          Tu dessines ? l’interrogeai-je.

-          Tu as de bons yeux, répondit-elle avec une fausse ironie.

-          Je peux voir ? lui demandai-je en fixant le bout de feuille dépassant de son dos.

-          Bien sûr.

Elle se retourna pour attraper le dessin puis me le donna. J’étais fascinée par la qualité de ce que je voyais devant moi. Le dessin représentait une fille avec des vêtements larges de skate, un stylo dans la bouche, assise sur une chaise en train de réfléchir devant une feuille. On aurait cru voir une photo tellement les détails étaient dessinés avec finesse. Et pour cause :

-          J’ai seulement dessiné une photographie, dit-elle avec humilité.

-          C’est magnifique, lui avouai-je. Tu as la photo ici ? J’aurais bien aimé comparer.

-          Je te la cherche.

Elle se retourna une nouvelle fois pour tirer un tas de feuilles de son tiroir, cette fois. Il semblait y avoir un peu de tout : des lettres, quelques photos, des feuilles de cours éparpillées… Elle en tira enfin la photo qui lui avait servi de modèle.

Celle-ci était quasiment semblable au dessin qu’en avait fait Marina, à la seule différence qu’elle était en couleurs. C’était une fille blonde au teint assez pâle avec des yeux bleus magnifiques. Elle portait un t-shirt orange vif, et la photo mettait mieux en valeur ses grosses chaussures de skate.

-          Qui est-ce ? lui demandai-je. Si tu me trouves indiscrète, je comprendrai, ajoutai-je en vitesse.

-          C’est mon ex.

Elle dit cela avec un léger sourire, comme à son habitude, mais son regard était tellement souffrant que je sentis mon cœur se resserrer. Cette vision me changeait de celle que j’avais pu voir d’elle jusqu’à maintenant, toujours le sourire aux lèvres et de la bonne humeur à redistribuer.

-          Je suis désolée, tentai-je de m’excuser pour les souvenirs que j’avais du faire refluer en elle.

-          Ce n’est pas grave, dit-elle en retrouvant sa joie habituelle, même si je savais désormais qu’elle n’était pas perpétuelle. Ce qui est fait est fait maintenant, il faut savoir avancer. Je ne me suis pas arrêtée à ça.

-          C’est un bon raisonnement. Je peux te poser une question qui ne me regarde absolument pas ?

-          Bien sûr, dit-elle en riant.

-          Si tu appliques ce raisonnement, pourquoi es-tu ici ? Je veux dire… Tu sembles avoir la maturité de faire face à ce genre de problèmes.

-          Tu avais raison, ça ne te regarde absolument pas, dit-elle sans laisser transparaître le moindre reproche. Je suis ici parce que j’ai fait une tentative de suicide suite à un problème auquel je n’arrivais pas à appliquer mon principe de vie. La rupture n’est qu’un problème annexe.

-          Oh… Je suis désolée de t’avoir posé cette question, dis-je d’une voix légèrement gênée de ma question précédente.

-          Je n’ai absolument aucun problème avec ça, rassure-toi ! me rassura-t-elle.

Je m’en voulais d’avoir cru ne serait-ce qu’un instant que Marina n’était ici qu’à cause d’une rupture ayant mal tourné pour elle. Elle semblait avoir la maturité nécessaire pour faire face aux simples problèmes de la vie quotidienne et amoureuse. Je décidai à ce moment là de ne pas l’interroger sur les raisons de sa tentative de suicide, mais à la laisser m’en parler elle-même si elle voulait le faire un jour.

Après un bref silence entre nous, je relançai la conversation sur des sujets plus légers.

-          Tu fais du dessin depuis longtemps ? lui demandai-je.

-          Depuis la maternelle, comme beaucoup de monde. Plus sérieusement, je n’ai jamais pris de cours de dessin, c’est juste de l’entraînement.

-          Et au moins un brin de talent ; ce n’est pas donné à tout le monde de dessiner comme tu le fais toi, fis-je remarquer.

-          Ce n’est qu’une question d’intérêt ! Certains préfèrent le sport, d’autres le cinéma. Moi, j’aime passer du temps derrière une feuille avec mon crayon. Le dessin permet de s’évader et de déstresser.

-          Ça expliquerait beaucoup de choses chez moi. Je sais tout juste gribouiller une maison et un arbre correctement !

Ma dernière réponse la fit exploser de rire. Ayant oublié l’épisode qui s’était déroulé à peine quelques minutes plus tôt, nous étions toutes les deux plus à notre aise. La conversation continua jusqu’au repas du soir, ne souffrant d’aucun blanc, et elle reprit tout de suite après au lieu de s’éteindre dans la salle de télévision en compagnie du groupe des quatre.

C’est apaisée par ma journée que je me couchai ce soir là, étrange différence avec la veille. Je m’étais fait une nouvelle amie et par la même occasion une nouvelle ennemie, ou du moins quelqu’un qui n’allait pas vraiment apprécier ma compagnie après mes nouveaux choix. Peu importe, tant que ce dernier me semblait être le bon…

14 janvier 2012

Chapitre 3, Quel clan choisir ? - Part 3/4

Nous venions de sortir de table, et j’avais l’impression d’avoir enfin eu mon premier vrai repas depuis que je suis ici – une assiette de frites avec du steak haché. Élie et sa plus fidèle disciple, Julie, écrivaient chacune une lettre à leurs parents respectifs à l’opposé de la table où Marina et Élize disputaient une partie de cartes. Quant à moi, j’étais allongée sur le canapé à proximité de Johanna qui lisait un magazine acheté le matin même en ville. Elle m’interrompit soudain dans ma rêvasserie :

-          Demain, on a prévu d’aller voir un film dans la salle de cinéma. Ça t’intéresse ?

-          J’ai pas le droit de sortir avant la semaine prochaine, non ? m’étonnai-je de sa question.

-          C’est la salle de cinéma de l’hôpital, ce n’est pas considéré comme une sortie à l’extérieur, m’expliqua-t-elle. Ils ne passent pas les derniers films à l’affiche, mais c’est mieux que rien ! On a proposé ça comme sortie avec Élize, pour que tu ne restes pas ici toute seule.

-          Merci, je crois que j’aurais fini par me pendre avec le tuyau de la douche ! rigolai-je. Qu’est-ce qu’on va aller voir ?

-          On ne sait pas, on n’a pas le programme ici. Sylviana a dit qu’elle se renseignerait pour qu’on choisisse les horaires où on veut y aller.

-          On doit payer la place ou est-ce que c’est gratuit ? la questionnai-je.

-          C’est gratuit pour les patients. Et même lorsqu’on fait des sorties payantes, c’est au compte de l’hôpital de toute façon !

Au moins, mon porte-monnaie ne se dégonflerait pas le temps que je resterais ici. Sur cette dernière pensée, j’eus la « joie » de voir débarquer Philippe et Dan dans la salle commune. Tandis que Dan finissait d’enfiler sa veste avant de partir, je remarquai les enveloppes et un petit emballage en papier kraft dans les mains de Philippe.

-          Élie, Johanna, Marina, vous avez du courrier, dit-il.

-          Moi j’en ai à envoyer ! cria presque Julie.

Il donna l’enveloppe de papier kraft à Marina et distribua les deux autres à Élie et Johanna. Ces deux dernières partirent s’installer à la table pour ouvrir leur courrier, mais je m’étonnai de voir Marina ouvrir son enveloppe devant les deux infirmiers qui semblaient la fixer. Elle sortit de son enveloppe quelque chose qui ressemblait de loin à une chaîne.

-          On peut lui laisser, elle ne va pas s’étrangler avec à mon avis, dit Dan. Bon, on se revoit demain les filles !

Sur ces paroles, il partit et Philippe regagna son bureau. Marina s’enfila autour du cou sa chaîne, qui était en réalité un collier faisant deux fois la circonférence de son cou.

Philippe refit son apparition avec un trousseau de clés dans les mains, et j’eus juste le temps de remarquer Évelyne se préparant à quitter le service à son tour avant que tout le monde se lève au passage de Philippe.

-          J’ouvre les chambres, et vous ne mettez pas le bordel sinon je les referme jusqu’à ce soir, dit-il.

J’avais le privilège d’avoir la première chambre à avoir été ouverte, et je partis donc m’installer sur mon lit. Je devais être allongée depuis cinq minutes quand on frappa doucement à ma porte avant de l’ouvrir. Je vis passer la tête de Johanna, qui marquait une certaine hésitation.

-          Tu es occupée ? me demanda-t-elle poliment malgré l’évidence de la réponse.

-          Non, pourquoi ?

-          Ça te dit de venir avec nous, ou tu préfères rester seule ?

-          J’arrive !

Un peu de compagnie était toujours mieux que plonger dans la solitude. Je suivis donc Johanna dans l’une des chambres double dont m’avait parlé Éric lors de la visite. Je pensais y trouver tout le monde, mais il n’y avait que Julie et Élie : Marina était dans sa chambre et Élize était partie dormir. La musique d’un groupe ringard résonnait entre les quatre murs, ce qui m’étonnait étant donné le style qu’affichait Élie au quotidien.

Je m’intégrai assez facilement à la conversation grâce à Johanna et à l’intarissable curiosité de Julie, qui me harcelait presque de questions pour connaître ma vie « d’avant ». Je lui dévoilai entre autres que mes parents s’étaient séparés et que je vivais actuellement avec ma mère, mais je restai muette sur tous les détails des derniers mois, ceux qui avaient précédé ma venue ici. Élie intervenait de temps en temps pour faire des commentaires ou poser des questions, mais elle ne semblait pas partager l’engouement de Julie à mon égard.

Nous en sommes finalement arrivées au sujet qui démangeait la bouche de tout le monde : pourquoi chacune d’entre nous était ici. Johanna répéta donc ce qu’elle m’avait déjà dit précédemment, qu’elle était ici parce qu’elle avait des soucis d’entente avec sa famille d’accueil. Julie nous resservit son histoire de tentative de suicide, et j’échangeai un regard complice avec Johanna. Je me contentai personnellement de peu de détails pour expliquer ma présence ici, évoquant vaguement une « soirée qui avait mal tournée » et des soucis avec ma mère.

-          Vas-y Élie, c’est ton tour ! dit Julie.

-          J’ai fait une tentative de suicide pour échapper à ma secte. Ils commençaient à vouloir m’obliger à faire du mal à des gens, j’ai pas voulu et du coup ils en ont après moi. D’ailleurs, je ne sais pas comment je vais faire quand je vais sortir d’ici…

-          Ils voulaient t’obliger à faire quoi ? demanda Julie avec des yeux ronds.

-          Le rite pour être membre à part entière de la secte, c’est de trancher les veines de quelqu’un qu’ils désignent. Si tu refuses, ils t’attachent contre un mur et ils te scarifient tout le corps. Moi, ils m’ont demandé de m’en prendre à un de mes meilleurs amis, je ne pouvais pas le faire alors j’ai refusé. J’ai fait ma tentative de suicide le soir même et on m’a amenée à l’hôpital.

-          Comment on fait pour rentrer dans une secte ? dit Julie, qui semblait fascinée par le sujet.

-          On n’y rentre pas facilement. Ils changent de repère tous les soirs, donc tu ne peux même pas aller les chercher à un endroit précis. En général, tu y rentres grâce à quelqu’un que tu connais, sinon c’est quasiment impossible.

Elles continuèrent leur dialogue abracadabrant pendant un bout de temps. Je remarquai que Johanna, pourtant très proche d’Élie d’après ce que j’avais compris, n’intervenait pas du tout dans la conversation. J’en déduisis qu’elle non plus ne croyait pas un mot de ce qu’Élie racontait mais qu’elle ne voulait pas s’embrouiller avec elle. Elle l’appréciait sans toutefois croire en ses mensonges apparemment fréquents.

Cette fille était totalement fausse. Elle s’inventait une vie qui n’était pas la sienne, une vie qu’elle voulait choquante et provocatrice, à l’image de son style vestimentaire. Elle n’était pas capable d’être honnête avec les gens qui l’entouraient, que ce soit la simple connaissance, comme Julie ou moi, ou la personne proche comme Johanna. Son esprit était suffisamment fermé pour rejeter quiconque allait contre sa pensée. Mais le plus désolant pour elle restait le fait qu’il ne m’avait fallu qu’une journée et demie pour m’en rendre compte.

Puisqu’elle imposait de faire un choix entre elle et Marina, il était maintenant évident pour moi que jamais je n’irais de son côté à elle. Je prétextai donc une envie de me dégourdir les jambes pour sortir de la pièce.

Je comptais retourner dans ma chambre lorsque je passai devant une porte entr’ouverte. Je pensai tout d’abord qu’il devait s’agir de la chambre d’une des filles que je venais de quitter, mais un bruit de tiroir qu’on ferme me fit comprendre que ce n’était pas le cas. Élize étant en train de dormir, j’en déduisis qu’il s’agissait de Marina et je toquai doucement à la porte.

14 janvier 2012

Chapitre 3, Quel clan choisir ? - Part 2/4

Nous en étions à 19 à 15 pour Dan quand Marina revint de sa consultation. Elle vint s’adosser à la table à côté de celle de ping-pong pour nous regarder jouer. Dan profita d’un instant d’inattention de ma part pour me refaire le même coup qu’en début de partie.

-          Mais t’es sérieux ?! criai-je à son attention.

-          On joue ou on joue pas ? me dit-il en guise de réponse. 20 à 15, à toi de servir.

-          Tu vas plus en placer une seule, lui annonçai-je.

Je réussis tout de même à m’approcher presque de ce que je venais de dire puisque nous avons fini le match à 22 – 20 pour Dan. La victoire serait pour la prochaine fois ! Dan proposa à Marina de prendre sa place si nous voulions jouer, mais devant notre refus il repartit dans son bureau avec les raquettes et la balle de ping-pong.

Marina repartit s’asseoir sur le canapé avec un soupir. J’entamai la conversation :

-          Tu es déçue de ne pas avoir pu aller au marché ?

-          Pas tant que ça, me répondit-elle avec un sourire. C’est dommage de rater une occasion de sortir bien sûr, mais dehors il fait froid et les sorties avec Élie ne sont pas forcément les plus agréables.

-          Pourquoi ça ? la questionnai-je.

-          Tu as bien vu comment se comportent les autres envers moi quand elle est là, dit-elle en riant.

On sentait malgré tout une part d’amertume dans ce qu’elle venait de dire. Et elle n’avait pas tout à fait tort ; hormis Johanna, les autres filles se pliaient invariablement aux quatre volontés d’Élie et se mettaient à ignorer royalement Marina.

-          Je ne comprends pas vraiment pourquoi d’ailleurs, dis-je avec un haussement d’épaules.

-          C’est simplement une histoire de préférence. Élie a instauré une sorte de guerre entre nous deux, les filles se sentent obligées de suivre une des deux pour ne pas être rejetées.

-          Johanna ne semble pas être dans ce cas, lui fis-je remarquer.

-          Le cas de Johanna est un peu particulier. Elle a du caractère et ne veut pas avoir à faire un choix, et elle a bien raison ! Seulement, c’est elle qui a le plus d’affinités avec Élie. Je trouve cela dommage, de forcer les autres à choisir…

Je lui dévoilai alors qu’Élie avait commencé son recrutement auprès de moi, sans lui révéler toutefois ses propos exacts pour tenter de me convaincre. Dan fit son apparition avant que Marina n’ai eu le temps de répondre.

-          Vous voulez que je vous ouvre la salle de détente ou vous êtes bien ici ? nous demanda-t-il.

-          Si je peux avoir ma guitare, je veux bien, lui répondit-Marina.

-          Sans problème, mais n’oublie pas de me la ramener après.

Sur ces dernières paroles, il nous ouvrit la salle avant d’aller chercher la guitare en question. Il revint avec une guitare noire que je ne connaissais pas, au design beaucoup plus soigné que celle que j’avais vue la veille.

-          Tu te débrouilles toujours avec Élie pour ton câble et l’ampli ? demanda Dan.

-          Oui, ne t’inquiète pas, répondit-elle en souriant.

-          Ça va alors, je ne veux pas d’histoires. À tout à l’heure les filles ! nous lança-t-il avant de filer hors de la salle en refermant la porte derrière lui.

Marina brancha son câble à l’amplificateur qui, lui, ne quittait pas la salle faute de place. Elle effectua quelques réglages et l’alluma avant de gratter quelques cordes, mais aucun son n’en sortit.

-          J’accorde la guitare, dit-elle devant mon air interrogateur.

Elle trafiqua encore quelques boutons avant qu’un bruit assourdissant me traverse le crâne.

-          Désolée, les filles ont du toucher au volume depuis hier, s’excusa-t-elle.

-          C’est pas grave, lui répondis-je en riant.

Les premières notes résonnèrent harmonieusement et elle se lança dans un morceau de hard rock. Ses doigts glissaient sur le manche sans la moindre hésitation, à un rythme de plus en plus rapide de sorte que, rapidement, je perdis le fil des notes. Sa concentration était palpable, elle avait le regard perdu dans le vague. Le morceau s’arrêta si brusquement que je me demandai un instant s’il allait reprendre, mais le médiator que Marina se plaça au coin des lèvres pour réaccorder sa guitare était significatif.

-          Ça fait longtemps que tu joues de la guitare ? lui demandai-je.

-          Un peu plus de deux ans, répondit-elle après s’être débarrassée la bouche. J’ai pris des cours dans une école de musique.

-          Ils apprennent ce style de musique ou tu as bossé de ton côté ?

Ma question la fit sourire.

-          Ils apprenaient tous les styles selon les choix des élèves, mais ils sont spécialisés dans les styles un peu plus violents, finit-elle par répondre. Ce que je viens de jouer, c’est un  des premiers morceaux qu’ils font travailler lorsqu’on commence à se débrouiller ; c’est un bon exercice d’échauffement.

Si ce qu’elle venait de faire n’était qu’un exercice d’échauffement, je n’imaginais même pas ce dont elle devait être capable. Du moins, c’était impressionnant à voir lorsqu’on ne pratiquait pas la guitare et qu’on ne pouvait pas juger de sa difficulté !

-          Johanna a encore du boulot, remarquai-je à voix haute.

-          Ce n’est pas avec Élie qu’elle ira très loin, s’exclama Marina en riant.

-          Qu’est-ce que tu veux dire ?

Sa remarque m’intrigua, le sous-entendu semblait peu flatteur à l’encontre d’Élie.

-          Sans vouloir être méchante, Élie n’en est qu’au début de son apprentissage, expliqua-t-elle. Si tu lui demandes, elle te dira le contraire – c’est d’ailleurs ce qu’elle a fait croire à tout le monde ici. Elle ne sait jouer qu’un morceau basique de mémoire, ce qui me fait douter de sa capacité à jouer autre chose.

-          Qu’est-ce qu’elle raconte exactement ? lui demandai-je.

-          Oh, tu l’apprendras bien assez tôt, répliqua-t-elle avec un regard complice. Elle prétend appartenir à cinq groupes différents, et être obligée de jouer sur scène avec des partitions sous les yeux pour se rappeler du morceau.

-          Ce n’est pas possible ? Je veux dire… Ça doit être difficile à mémoriser, un morceau entier, non ?

-          La guitare n’est pas un don instantané, peu importe ton niveau. Si tu veux savoir jouer un morceau, il faut s’entrainer pour maîtriser tous les riffs, les enchaînements et tout le reste. Et au final, tu as tellement travaillé ton morceau que tu le connais par cœur, tes doigts l’ont « gardé en mémoire » si on veut. C’est bien pour cela que quelqu’un qui sait en jouer ne croira pas un instant Élie, finit-elle avec un sourire.

-          Mais tu es la seule à t’y connaître, donc personne ne s’en rend compte. C’est ça ?

-          C’est plus ou moins ça. Mais je ne pense pas que les infirmiers soient dupes non plus.

Ces explications techniques et ces révélations en disaient long sur la mentalité d’Élie. Tandis que Marina entamait un nouveau morceau, plus doux cette fois, je réfléchissais à notre conversation mais également à celle que j’avais eue un peu plus tôt avec Élie elle-même, ce matin. Si cette fille semblait avoir si tendance que ça à embobiner les gens avec des mensonges, qui me dit que ce qu’elle m’avait raconté était vrai ? J’en doutais déjà au début, mais tout cela ne faisait qu’accentuer ce doute. Johanna ne semblait pas décidée à me dire ce qu’il s’était passé entre Marina et Élie (peut-être ne croyait-elle pas également cette dernière ?), et Marina semblait être, elle, une fille sincère. Je parvins à la conclusion que le mieux était de lui demander, avant que cela n’affecte quoi que ce soit.

-          Élie est venue me parler ce matin, commençai-je.

Marina n’arrêta pas de jouer mais leva la tête pour me regarder. Le son étant assez bas pour que l’on puisse discuter aisément, je poursuivis.

-          Elle voulait me « mettre en garde » contre toi, si on veut, continuai-je.

-          Ah ? m’invita-t-elle à continuer, arrêtant cette fois de jouer.

-          Elle m’a dit que si elle ne voulait pas rester avec toi, c’est parce que tu lui aurais soi-disant fait des avances… Je ne la croyais pas lorsqu’elle me l’a dit, et ce que je viens d’apprendre sur elle me conforte dans cette idée, mais je préférais que tu sois au courant.

Je m’attendais à ce qu’elle se contente de nier ce que m’avait dit Élie en rétablissant la vérité, mais ce ne fut pas tout à fait sa réaction. Elle poussa un soupir, leva les yeux au ciel et haussa les épaules, ces trois actions enchainées si vite qu’on aurait dit qu’elles ne faisaient qu’une. Mais elle reprit ses habitudes et redressa la tête avec son sourire naturel.

-          Tu as raison de ne pas la croire, même si la raison de son comportement n’est pas vraiment sans lien avec ce qu’elle t’a dit, commença-t-elle.

Elle fit une pause de quelques secondes, avant de se lancer dans des explications plus précises.

-          On s’entendait très bien au début, c’est d’ailleurs pour ça que nous avons été mises dans la même chambre par la suite. Je m’étais rendue compte qu’elle mentait sur certains détails, mais je n’y prêtais pas attention, ce n’était pas bien grave. Lors d’une conversation, on a fini par dériver je ne sais plus trop comment sur ce qui touche aux idées nazies, et j’ai découvert qu’elle avait un fond raciste et homophobe. Seulement, il se trouve que je suis effectivement homosexuelle, comme elle te l’a dit, et donc j’ai fini par m’emporter et le lui dire. C’est depuis ce moment qu’elle ne veut plus rester avec moi, depuis qu’elle sait que je suis attirée par les filles. Mais je ne lui ai jamais fait d’avances en tout cas, me dit-elle avec un clin d’œil.

Cela me fit bizarre d’apprendre que Marina était lesbienne, même si je n’étais pas homophobe, au contraire d’Élie. Je ne me sentais cependant pas mal à l’aise en sa présence maintenant que j’étais au courant, finalement ça ne changeait rien pour moi vis-à-vis de Marina. En revanche, tout ceci expliquait l’empressement d’Élize ce matin à se justifier lorsque Julie avait plaisanté en disant qu’elles étaient enfermées ensemble.

-          J’espère que ça ne te dérange pas, me demanda Marina. Je préfèrerais le savoir maintenant plutôt qu’entendre d’autres messes basses dans mon dos…

-          C’est normal. Ça ne me dérange pas du tout, ne t’inquiète pas !

-          Tant mieux dans ce cas, ça m’évitera d’autres soucis, dit-elle le sourire aux lèvres.

Et, comme si notre conversation n’avait jamais eu lieu, elle reprit sa chanson là où elle l’avait arrêtée quelques instants plus tôt. Les morceaux défilèrent au gré de ses pensées, les styles variant et les émotions qu’elles procuraient avec eux.

14 janvier 2012

Chapitre 3, Quel clan choisir ? - Part 1/4

Je me réveillai en douceur à 7h30 du matin, en cette belle matinée du mercredi 12 octobre. Non, je corrige, ON me réveilla en me secouant dans mon lit en cette matinée pluvieuse. C’était une infirmière blonde avec des perles dans les cheveux, qui cherchait à se rajeunir par tous les moyens à première vue. Elle avait tenté de me réveiller par la manière douce en ouvrant ma porte et en m’appelant, mais je n’avais pas bougé d’un cil et elle avait du recourir à cette méthode. C’est ce qu’elle me dit, du moins.

-          Va prendre ton petit-déjeuner, après tu reviendras faire ton lit avant que les femmes de ménage ne ferment ta chambre.

Je m’habillai rapidement et fis ce qu’elle me dit. Johanna et Julie étaient encore attablées quand j’arrivai à la cuisine.

-          Bonjour Mélina ! Me dit joyeusement Julie.

-          Salut.

Je me servis un bol de céréales et commençai mon repas.

-          Alors, t’as eu du mal à te réveiller ? me demanda Johanna.

-          Oui, j’aurais bien dormi un peu plus, lui répondis-je.

-          Évelyne t’as laissée dormir environ une demi-heure de plus que ce à quoi on a droit normalement en semaine.

-          Il faut se lever à 7h sinon ?

-          Oui, c’est la règle de la maison, me répondit Johanna en riant.

Adieu mes grasses matinées. Adieu mes petites habitudes… Les filles m’abandonnèrent pour prendre leurs affaires dans leurs chambres avant de revenir dans la salle commune. Je posai mon bol dans l’évier à côté du reste de la vaisselle sale et partit faire de même dans ma propre chambre. Je bâclai mon lit, me lavai les dents et partis les rejoindre.

Julie ne me laissa même pas le temps de m’installer sur les sièges à côté d’elles avant de me sauter dessus.

-          On a pas osé te le demander hier parce que tu n’avais pas l’air très bien, mais pourquoi tu es ici ?

On sentait que cette question lui brûlait la bouche depuis un moment.

-          Hé, laisse la, elle a peut-être pas envie de te le dire, lui répondit à ma place Johanna.

-          Pardon, c’est vrai, reconnut Julie. Moi je suis là parce que j’ai voulu me suicider, si tu veux savoir.

-          Julie, tu as rendez-vous dans le bureau de Mme Sanchez ! cria au même instant Évelyne depuis le bureau

-          J’arrive ! hurla Julie en retour. On se voit tout à l’heure les filles !

Et elle partit en direction du couloir presque au pas de course.

-          Excuse-la, elle est toujours comme ça, me dit Johanna. Et en réalité, elle est là parce qu’elle est hyperactive, donc ne la crois pas sur ce sujet. Et au cas où elle te dirait n’importe quoi sur nous, moi je suis là parce que j’ai des soucis avec ma famille d’accueil, comme Élize.

-          D’accord, c’est bon à savoir. Pour Julie, je veux dire.

-          Ne t’inquiète pas, j’avais compris, dit-elle en riant. Tu as l’air de bien t’entendre avec Marina ?

-          Oui, elle est sympa. Et puis c’est surtout que c’est elle qui est venue me parler.

-          Excuse-nous de ne pas être venues un peu plus d’ailleurs, on voulait pas te déranger puisque c’était ton premier jour, et puis comme tu parlais à Marina après, Élie préférait qu’on reste entre nous.

-          Elles ne s’aiment pas beaucoup, hein ? lui demandai-je.

-          C’est vrai, mais je pense que c’est pas à moi de t’expliquer pourquoi ! C’est entre elles, j’apprécie beaucoup Marina, personnellement. C’est une fille bien.

Sur ces belles paroles, Élie fit son arrivée dans la salle. Johanna me quitta sur le champ pour aller la rejoindre, juste avant de se faire appeler à son tour par Évelyne, me laissant seule avec Élie. Contrairement à ce à quoi je m’attendais, celle-ci ne m’ignora pas mais vint me parler. Ou plutôt, « me prendre à part »…

-          J’ai vu que tu restais beaucoup avec Marina donc j’ai voulu te prévenir, commença-t-elle. Elle m’a déjà fait des avances, c’est pour ça qu’on ne reste plus avec elle. Tu ferais mieux de faire attention à ce qu’elle a derrière la tête, les filles comme ça ne recherchent pas des amies.

Alors ça c’était le pompon ! Elle ne venait m’adresser la parole que pour chercher les embrouilles, c’était le genre de fille que je ne supportais pas. Cependant, ce n’était pas le moment de m’en faire une ennemie non plus, sachant que je risquais de la voir tous les jours pendant encore un certain temps.

-          J’y penserai.

Quand bien même je n’accordai aucune importance ni véracité à ce qu’elle venait de me dire, je ne pouvais m’empêcher de le faire tourner et retourner dans ma tête. On pouvait dire qu’elle avait gagné sur ce coup là ! Je n’avais pas l’intention pour autant de changer mon comportement avec Marina, qui restait la fille la plus accueillante du groupe.

Je m’installai sur les canapés regroupés contre le mur, ne sachant quoi faire pour tuer le temps jusqu’au repas. Élie s’installa quant à elle à l’endroit où je me trouvais précédemment avec Johanna et Julie. Elle alluma le lecteur CD situé sur l’étagère derrière elle et la salle s’emplit de musique à un volume modéré. Une porte s’ouvrit et je reconnu le timbre hystérique de Julie, qui accourait jusqu’à nous.

-          Youhou ! hurla-t-elle. Évelyne, Mme Sanchez m’a autorisée à aller au marché à partir d’aujourd’hui !

Le marché ? Nous avions donc des sorties autres que dans ce parc ?

-          Ne crie pas comme ça Julie sinon tu resteras ici ! lui répondit Évelyne. J’ai déjà la tête grosse comme une patate ce matin, alors n’en rajoute pas.

Julie se calma un peu et parti s’asseoir face à Élie.

-          Elles sont où Marina et Élize ? lui demanda-t-elle.

-          Marina finissait de se préparer quand je suis sortie de la chambre, et Élize je n’en sais rien.

-          Je vais aller voir !

Et la voilà repartie dans les couloirs au pas de course une nouvelle fois. Je l’entendis tenter vainement d’ouvrir une porte et proférer un juron, puis repartir de plus belle pour ouvrir une nouvelle porte. Elle revint quelques minutes plus tard, accompagnée de Marina et Élize qui étaient de toute évidence ensemble.

-          Elles étaient enfermées dans la salle de bain ! cria Julie.

-          Pfff, n’importe quoi ! s’empressa de lui répondre Élize.

Elles s’assirent toutes deux en face d’Élie, côtes à côtes, tandis que Marina prenait place à l’autre extrémité de mon canapé. Les filles entreprirent une conversation futile sur la façon dont Élie avait mis son écharpe ; Marina lisait pour sa part un livre qu’elle avait apporté de sa chambre. J’essayai de voir la couverture le plus discrètement possible mais n’y parvins pas. Le livre se souleva soudain de telle sorte que je pus voir la couverture ainsi que le résumé. En levant les yeux, je m’aperçus que Marina me regardait d’un œil interrogateur ; ma discrétion était décidément à revoir.

Par chance, je n’eus aucune explication à lui fournir puisque Johanna réintégra le service en m’annonçant que c’était mon tour d’aller voir la psychiatre ; ce que je fis sans demander mon reste. Une fois devant celle-ci, je me dis qu’expliquer à Marina pourquoi je fixais son livre de cette façon était peut-être préférable au fait d’être ici.

-          Bonjour Mélina. Comment allez-vous aujourd’hui ?

-          Ça va bien.

-          Les infirmiers m’ont dit que vous avez un peu parlé aux autres filles hier. Avez-vous réussi à vous adapter au fonctionnement du service ?

-          Oui, oui… éludai-je.

-          Bien. Je vous ai fait venir parce qu’il nous manque des informations sur votre dossier médical. Avez-vous des problèmes de santé déjà connus ?

-          Pas que je sache.

-          Nous allons vous faire passer des examens pour vérifier votre état de santé ; des radiographies, et un cardiogramme.

-          Heu… D’accord.

-          Je vous libère, je souhaitais juste faire le point avec vous sur votre dossier médical. Nous commencerons à travailler sur vous d’ici quelques jours, le temps de voir comment vous vous adaptez. Est-ce que vous pouvez demander à Marina de venir, s’il vous plaît ?

-          Pas de problème.

Une étrange situation m’attendait lorsque je réintégrai le service : Évelyne et la grosse infirmière – Sylviana, comme je l’appris plus tard, étaient vêtues pour sortir, ainsi que Johanna et Julie. Élize, Élie et Marina étaient tournées vers moi.

-          C’est à qui d’y aller ? me demanda Élize.

-          Elle a demandé Marina, lui répondis-je.

-          Yes ! s’exclama Élize en guise de réponse.

Elle courut chercher sa veste à la suite d’Élie, qui l’avait précédée de quelques secondes. Marina, elle, me contourna pour rejoindre le bureau de Mme Sanchez.

-          Bon, on y va les filles si on veut être de retour pour le repas ! décida Évelyne.

-          Où ça ? lui demandai-je.

-          Au marché, mais toi tu dois rester là avec Dan.

-          Pourquoi ? m’exclamai-je.

-          Parce que tu n’as pas le droit de sortir pendant une semaine Mélina, c’est le règlement. Tu as juste droit aux sorties au parc pour le moment. Allez tout le monde !

Elles se dirigèrent vers une porte située tout au fond de la cuisine que Dan, que je voyais pour la première fois, leur tenait ouverte. Dan était légèrement grisonnement mais, comme Éric, avait le visage sympathique. Il portait un t-shirt orange sans motif ni marque, qui dévoilait un ventre rebondit d’amateur de bière. Il ferma la porte après la petite troupe et me fixa droit dans les yeux, les mains sur les hanches.

-          Bon, il reste plus que toi et moi, me dit-il. Et Claude, qui est en train de nettoyer vos porcheries, mais on va faire comme si elle était pas là. Tu sais jouer au ping-pong ?

-          Je me débrouille.

-          On se fait un match ?

-          Pourquoi pas !

C’était toujours mieux que d’attendre à ne rien faire. Dan partit chercher des raquettes ainsi qu’une balle dans le bureau des infirmiers, puis me rejoint devant la table de ping-pong où il posa tout son matériel.

-          Quelle main ? me demanda-t-il les deux mains derrière le dos.

-          Hein ?

-          Julie a cassé le manche de la deuxième raquette, il faut tirer au sort celui qui l’aura. Je pourrais abuser de mon pouvoir d’infirmier mais je suis sympa aujourd’hui. Alors, quelle main ?

-          Heu… La gauche.

-          Raté ! dit-il en me montrant le contenu de ses deux mains.

Il tenait dans la droite une pièce de dix centimes qu’il rangea dans sa poche. Il me donna la raquette cassée par les soins de Julie, à laquelle il ne restait qu’une moitié du manche, ce qui la rendait très peu confortable. Je ne m’étais même pas préparée quand j’ai vu la balle filer devant mon nez.

-          1 – 0 ! cria Dan.

-          Hé ! J’étais pas prête ! protestai-je.

-          Ça passe pour cette fois, on recommence.

14 janvier 2012

Chapitre 2, Première journée en prison - Partie 2/2

Une heure plus tard, j’étais affalée sur mon lit, après avoir installé mes affaires dans ma nouvelle cellule. Les autres étaient parties voir des séries débiles dans une salle télévision qui n’a pas fait l’objet de ma visite avec Éric. Me sentant trop à l’étroit dans cette chambre où la fenêtre ne s’ouvrait que d’une dizaine de centimètres, je me levai pour me rendre dans la salle commune. Je passai devant la salle TV, située juste avant les chambres, avant d’aller m’asseoir lourdement sur un fauteuil.

La guitare électrique se faisait à nouveau entendre, à la différence qu’il ne s’agissait probablement plus de Johanna, mais sûrement d’Élie puisque la personne qui jouait savait ce qu’elle faisait. Il s’agissait d’un style plutôt hard rock ou metal, qui était plutôt agréable même si je n’avais pas pour habitude d’écouter ce genre de musique. Pas une seule fausse note !

-          Élie, rends-moi la télécommande ! hurla Julie.

-          Les filles, on se calme ! lui répondit un infirmier depuis leur bureau.

Je me retrouvai pour le coup dans l’incompréhension. Qui était en train de jouer si tout le monde était là ? N’ayant rien d’autre à faire que d’assouvir ma curiosité, je me levai pour aller voir. J’avais laissé mes chaussures à l’intérieur de toute façon, ça me faisait un prétexte…

La porte était entr’ouverte, d’où la porté du son. Je toquai à la porte, même si je doutais qu’on m’entende. Après une ou deux secondes d’hésitation, j’entrai. Effectivement, il ne s’agissait pas de quelqu’un qu’on m’ait déjà présenté aujourd’hui. C’était probablement Marina, la fille qui était avec ses parents quand je suis revenue du bureau de la psychiatre, et que j’avais totalement oubliée.

Elle leva la tête au moment où je passai la porte, arrêtant au même instant le morceau qu’elle était en train de jouer.

-          Oui ? demanda-t-elle.

-          Continue, je venais juste récupérer mes chaussures, me dérobai-je.

-          Oh. Tu viens d’arriver je suppose. C’est la première fois que tu es hospitalisée ou tu étais déjà venue avant ?

Elle éteignit son ampli et reposa sa guitare sur un trépied.

-          Non, c’est la première fois. Tu es Marina ? Éric demandait où tu étais tout à l’heure…

-          Oui. Et toi tu es Mélina ? Les filles m’ont parlé de toi à la salle télé, quand je suis revenue.

-          C’est ça.

-          Pas trop dur d’être ici ? C’est souvent difficile les premiers jours.

-          Un peu. J’ai l’impression de me retrouver en prison, entre les fenêtres qui s’ouvrent pas et les infirmiers qui nous surveillent.

Elle sourit à ma remarque. Une petite fossette se dessina au creux de ses joues, ce qui me fit remarquer pour la première fois sa grande beauté.

-          C’est un petit peu ça, mais on s’y habitue, ne t’inquiète pas pour ça. La liberté, c’est la pause cigarette !

-          Tu déconnes, je crois que c’est le pire… Ils s’écartent des quatre cigarettes maximum par jour ou non ?

-          Rarement. Ça dépend des infirmiers.

Quelque chose que je n’identifiais pas se mit à sonner, interrompant notre conversation.

-          Qu’est-ce que c’est ? demandai-je à Marina.

-          L’heure de manger ! Les plats ont fini de chauffer, il faut aller mettre la table.

Je la suivis donc jusqu’à ce qu’on pourrait appeler la « cuisine ». Johanna et Julie étaient déjà en train de s’affairer autour des tables, posant assiettes et couverts. Marina s’occupa des verres et je n’eus d’autre choix que de les aider mentalement puisque je ne savais pas où était rangé tout ce qu’il fallait sortir.

Une fois la table mise, les infirmiers nous appelèrent pour prendre les traitements. N’en ayant aucun, je m’assis à un place au hasard en bout de table. Élie arriva la première et alla s’installer tout à fait à l’opposé. Elle fut suivie de Julie, Élize et Johanna… Merci les filles, je sens qu’on va bien s’entendre. Marina arriva à son tour et s’installa en face de moi, laissant deux places libres entre nous et les quatre autres. Les infirmiers arrivèrent enfin et je découvris par la même occasion celui que je n’avais pas encore rencontré, un grand brun à l’aspect peu commode. Il sortit les plats, ou plutôt les barquettes, et vint s’asseoir à côté de moi tandis qu’Éric prenait place juste en face. Au menu… Des tripes, pour bien clôturer la journée atroce que je venais de passer. Heureusement pour moi, une barquette de pâtes était prévue également, ce qui me laissait ainsi une autre perspective que d’aller me coucher le ventre vide.

 

La fin du repas étant arrivée et la vaisselle faite, j’eus enfin droit à ma première cigarette. N’ayant pas le droit de fumer à l’intérieur, la porte donnant un accès dehors (une zone grillagée appartenant à l’hôpital bien entendu) fut ouverte. Seule Élize et Julie ne fumaient pas, Julie était trop jeune pour cela au goût de l’hôpital. Je n’avais pas le moral à rester avec les autres filles, je partis m’asseoir avec ma cigarette dans un coin d’herbe à l’écart. Après avoir fumé et puisque les filles s’étaient engagées dans une conversation avec Éric, Marina vint s’asseoir près de moi. Elle n’engagea pas la conversation, ce dont je la remerciai intérieurement, et resta simplement près de moi, figée elle aussi dans le silence.

Éric finit par nous appeler pour rentrer, la pose cigarette était terminée. Je partis donc dans la salle télé avec Marina en espérant que les programmes de la soirée soient plus divertissants qu’une cruche en train de tourner une roue. Bon, une série policière, cela ferait l’affaire. Je m’installai sur un siège isolé au fond de la salle tandis que les filles prenaient place sur les sièges restants.

Je ne tins que vingt minutes avant d’abandonner la télé. La série était trop prévisible, j’avais trouvé le coupable dès les dix premières minutes et les personnages manquaient sérieusement de charisme. Autant laisser mon esprit divaguer allongée bien confortablement sur mon lit ! Je n’avais pas grand-chose pour m’occuper, ma mère n’avait rempli mon sac que de vêtements et de produits de toilette. Tant pis, je ne pensais pas résister au sommeil très longtemps de toute façon.

Environ un quart d’heure plus tard, on toqua à ma porte.

-          Entrez ! Criai-je en espérant que ce ne soit pas les infirmiers venus me prendre le chou.

-          Excuse-moi, j’ai vu la lumière sous la porte…

C’était Marina. La série venait sûrement de se terminer et elle avait peut-être prévu également d’aller se coucher.

-          Vas-y, entre, lui répondis-je.

Elle entra, ôta ses chaussures et vint s’asseoir gracieusement sur mon lit. Elle croisa les jambes et son sarouel s’étira de sorte qu’une sorte de nappe s’était dressée entre ses deux genoux. La première rencontre était passée et je pouvais maintenant l’observer sans gêne. Elle avait des cheveux longs et noirs attachés derrière sa tête qui contrastaient avec ma chevelure blonde. Elle affichait un sourire en coin perpétuel que j’attribuai à une sympathie naturelle, pour le peu que j’avais pu voir d’elle. Elle portait un débardeur noir plutôt moulant qui dévoilaient des bras fins sans la faire paraître fragile. Sa minceur aurait pu faire jalouser nombre de filles complexant sur leur physique, mais ce n’était heureusement pas mon cas.

-          Ça a l’air assez difficile pour toi d’être ici… dit-elle en interrompant mon examen de sa physionomie.

-          Un peu. Je me sens pas vraiment à ma place, surtout que les filles ont l’air de m’éviter.

-          Elles ne sont pas méchantes, ne t’inquiète pas. Johanna, Julie et Élize suivent juste Élie, et Élie n’aime pas les nouvelles venues. Ça passera avec les jours !

-          J’avais déjà remarqué qu’Élie faisait comme si je n’étais pas là de toute façon. Désolée si tu l’aimes bien, mais cette antipathie est réciproque.

-          Ne t’inquiète pas, elle m’apprécie peu aussi et ça ne me dérange pas.

Philippe ouvrit la porte brusquement.

-          Allez c’est l’heure du couvre-feu, tout le monde dans sa chambre ! dit-il avant de repartir aussitôt.

-          Bon eh bien, mieux vaut ne pas trainer, dit Marina une fois qu’il fut sorti. Passe une bonne nuit !

-          Merci, toi aussi, lui répondis-je avec un sourire.

Je ne mis pas longtemps à m’endormir une fois glissée dans mes draps. J’eus tout de même le temps d’espérer que demain serait une journée différente de celle d’aujourd’hui, trop riche en émotions négatives.

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